mercredi 29 avril 2009

Droit d'auteur et protection internationale des œuvres

Par Willems Edouard

Les œuvres circulent. Les créateurs aussi. Leur protection internationale est nécessaire. Mais d'un pays à un autre, les législations diffèrent. Le cadre de protection également. L'adoption du copyright par certains Etats de la région, l'adhésion au droit latin par d'autres font que des œuvres ou des créateurs peuvent se retrouver dans des Etats appartenant à des systèmes juridiques distincts. Car une œuvre peut être née en Haïti et devoir être mise en circulation aux U.S.A. Sa migration risque engendrer des conflits de lois en opposant des familles de droit. Circulation internationale des œuvres et des auteurs, protection inégale ; les législations nationales ne peuvent se contenter de protéger les seuls ressortissants de leur Etat respectif.

En effet, la mise en circulation des biens culturels, dans les espaces national et international, ne se fait pas toujours en conformité avec les règles de droit. Lutter contre les utilisateurs d'œuvres peu soucieux du droit des créateurs commande déjà au plan local de tenir compte de la présence d'œuvres ou d'auteurs étrangers. Quand un fait dommageable (le piratage, l'atteinte à l'intégrité ou l'incapacité pour un créateur d'exercer ses droits légitimes) affecte les droits d'un auteur. Ce dernier doit pouvoir solliciter la justice du pays où sa création est exploitée dans l'irrespect des principes du droit. Entreprendre pareille démarche, plus que la reconnaissance des droits, dépendra davantage des mesures qu'un pays prend pour faciliter la circulation internationale des artistes et biens culturels.

Protéger sans discrimination à l'égard des étrangers et de leurs œuvres, il faut le reconnaître, n'a pas laisser indifférents les législateurs nationaux comme l'atteste l'article 42 du décret de 1968 stipulant que " sont protégés, sous le bénéfice de la réciprocité reconnue par leur loi interne, à l'égal des droits attribués aux auteurs haïtiens, les droits des auteurs étrangers, ressortissants d'un Etat étranger lié par les même Conventions internationales qu'Haïti, sur tous les ouvrages fruits de l'intelligence, quelles qu'en soient la nature, la valeur, l'étendue ou la destination... "

L'énoncé de cet article, s'il met en exergue le principe de la protection réciproque, nie celui d'assimilation reconnu par l'article 3 alinéa 2 de la Convention de Berne précisant que " les auteurs ne ressortissant pas à l'un des pays de l'Union, pour les œuvres qu'ils publient pour la première fois dans l'un de ces pays ou simultanément dans un pays Etranger à l'Union et dans un pays de l'Union " bénéficient du même traitement que les nationaux. La Convention Universelle aborde dans le même sens en accordant sa protection à toute œuvre d'un ressortissant d'un Etat non lié publiée pour la première fois dans l'un des Etat adhérents (article II). Ainsi, le critère réel prime sur celui de la nationalité. En effet, en matière de droit d'auteur, la nationalité d'une œuvre est celle du lieu de sa publication. De ce fait, même si la Convention Universelle ne reconnaît pas le critère de la nationalité qui renvoie à l'individu créateur, elle ne nie pas qu'une création divulguée sur le territoire d'un Etat lié, même si son auteur ne vient pas d'un pays contractant, soit une œuvre de cet Etat. Cette même règle de protection qui met en évidence la tendance à la multilatéralisation caractérise également la Convention de Buenos Aires. Sa ratification par Haïti (1919) signifie que le pays, en matière de protection d'œuvres, s'en tient au critère réel.

Les dispositions de ces différents instruments internationaux évoqués précédemment montrent de flagrantes contradictions entre le stipulé de l'article 42 du décret de 1968 et l'esprit de ces Conventions. Aussi, ce constat ne risque-t-il pas d'avoir pour effet de dissuader un ressortissant d'un Etat non lié de s'établir, de diffuser comme de publier en Haïti ?

Traitement national, lieu de première publication, pays d'accueil ou de réception ; la réglementation de la circulation des créateurs et d'œuvres est fortement liée à la notion d'espace. Il s'agit de pouvoir repérer un fait dommageable ou de réclamer une protection comme d'exercer un droit dans un espace géographique localisable. Voilà pourquoi la protection que propose la plupart des législations locales trouve son fondement dans la notion de territoire. Aujourd'hui, l'intrusion du numérique en inventant le cyberespace, abolit, en ce qui concerne la diffusion d'œuvres, la notion d'espace physique.

En tout cas, autre temps, autre débat ; un même souci doit alimenter les réflexions. Car encourager la mobilité des créateurs et de leurs productions intellectuelles requiert une politique d'ouverture que seule l'action publique peut favoriser en définissant des stratégies non pour nuire au développement des échanges, mais pour éviter les faits dommageables affectant les cultures locales. Aussi importe-t-il de prendre des décisions qui impriment la volonté d'inscrire l'action juridique dans une perspective internationale.

[Site original de l'article]

La musique haïtienne et le droit d'auteur

Les compositions musicales haïtiennes "avec ou sans parole" sont toutes protégées par le décret du 9 janvier 1968. Cette protection entre en vigueur dès la création de l'oeuvre!
L'article 41 du décret de 1968 stipule que "la propriété littéraire (et artistique, pourrait-on ajouter) sur une œuvre de l'esprit existe de plein droit du seul fait de sa création, indépendamment de toute formalité administrative ". En d'autres mots, la création-même de la musique la place sous la protection de la loi.
"A la mort d'un auteur, les mêmes prérogatives passent à ses héritiers qui en bénéficient, comme titulaires de ses droits patrimoniaux pendant vingt-cinq ans, à compter de son décès, dans l'ordre et selon les règles déterminées au Code Civil pour les successions. Après quoi les ouvrages protégés tombent dans le domaine public."
Cette protection légale, tout aussi valable pour les oeuvres folkloriques et littéraires haïtiennes, a tout l'air de ne pas être connue de la majorité y compris des principaux intéressés: les ayant-droit eux-mêmes.
Face à l'abus honteux des oeuvres de nos artistes est-ce qu'un seul de ces derniers y a déjà eu recours?

mardi 28 avril 2009

Le Rap Kreyol

Une belle odyssée

Auteur: Chancy Victorin

Le mouvement Rap Créole fait ses balbutiements vers la fin des années 80 en Haïti avec des artistes comme Master-Gi, Supa Deno au sein du collectif baptisé Haïti Rap and Ragga.
Le mouvement connaîtra son apogée tout au cours de la décennie qui suivit avec King posse, ORS (original rap staff), Masters… dont la composition musicale est fort redevable au reggae qui se développe en parallèle.
Au cours des années 2000, maturité oblige, à l’image du succès que connaissent les groupes Barikad Crew et Rockfam, le mouvement fait des milliers d’inconditionnels tant chez les jeunes que dans des secteurs jusque- là réticents.

Si la montée en vitesse du rap créole fait craindre à plus d’un l’éclipse du compas, force est de reconnaître que les stéréotypes dont on l’affuble et son manque de structuration risquent peut-être de ralentir sa course. Qu’à cela ne tienne nous lui souhaitons le plus grand et le plus durable succès!

mercredi 15 avril 2009

FestiRara de Petit-Goave : Qui a réellement gagné ?

Auteur: Stevens Valery NELSON


Le 09 avril 2009, le festirara de Petit-Goâve s’est déroulé dans une ambiance surchauffée avec la participation de 6 bandes de rara : Chenn tamaren, Ògèy, Lanbi gran dlo, Saint André, Soul Rasta et Saint Jacques. L’enjeu est de taille : quelle bande va mieux performer cette année ? Qui va gagner entre les bandes rivales, Lanbi ou Chenn tamaren?

Devant le Night Club de la Cité soulouquoise, une longue queue est constituée pour atteindre l’intérieur du Louko Night Club. Plusieurs groupes de personnes portent avec fierté les couleurs de leur bande préférée. « Nou pral bat yo ankò ane sa », déclare une dame en vert et blanc, fan de Chenn Tamaren faisant référence au groupe rival Lanbi Gran dlo.

A l’intérieur, des milliers de personnes attendent avec impatience le premier son, buvant de la bière, du rhum et du tafia. N’importe quel groupe populaire de la musique haïtienne ne peut remplir ce grand Club, comme il l’est ce soir du jeudi saint.

A Petit-Goâve, la question des raras est une affaire de localités : Chenn Tamaren vient de Petite Guinée, Lanbi Gran dlo, de l’Acul et Ogèy, de la Hatte. Les habitants se positionnent avec un grand fanatisme sur ce sujet.

Ce festival entend placer les affrontements au niveau de la musique et de l’innovation. Autrefois, les rivalités entre bandes se transformaient en violentes confrontations. Le dernier affrontement était survenu entre Ogèy et Chenn tamaren en 2006 provoquant des problèmes entre les Petits-Goâviens. Certains habitants de La Hatte ne pouvaient plus se rendre à Petite Guinnée et vice-versa.

« Si autrefois, les bandes de rara jouissaient d’une mauvaise réputation à cause des affrontements souvent mortels entre les groupes rivaux, depuis deux ans le festival rara met fin à cet état de fait. Tout le monde y participe désormais. Je déclare ouvert le deuxième festival », affirme à 11h00 du soir Montigène Sincère avec son « chapo balèn , président de l’association organisatrice du festival.

Après les propos d’ouverture de Montigène Sincère, le Maitre de Cérémonie (MC) de la soirée, Brice Cleevens vient enflammer le club en demandant aux fans de chaque bande de lever leurs mains. « Chaque groupe jouera deux morceaux à cause du retard enregistré avant le démarrage », avertit le MC avant de laisser le podium aux musiciens de Saint André.

Plus de trente personnes remplissent le podium, la chaleur monte et le public s’impatiente d’entendre les premiers sons de Saint André. Après quelques tests de sonorisation, sous la pression des organisateurs, Saint-André joue ces deux morceaux sous les applaudissements des festivaliers. Vient ensuite Soul Rasta, puis Saint Jaques, les moins appréciés du public. « Ces groupes sont nouveaux, ils ne me plaisent pas énormément. J’attends Lambi », avance un sexagénaire pou justifier son indifférence.

Quand Brice demande à Ogèy de gravir le podium, le club est enflammé, la chanson de cette bande est, dit-on, la plus populaire cette année. Tout le monde se met à chanter et à danser tout au long de la prestation orchestrée par Ogèy.

Enfin, le moment tant attendu : les prestations de Lanbi et de Tamaren. 2h du matin, Chenn Tamaren exécute ses deux morceaux avec l’aide d’un chanteur connu de la ville : David B. « O! O!, A pa li kite gwoup konpa, l al chante nan rara », ironise une dame en jaune, fan de lanbi Gran Dlo. Après l’exécution de debranche et de Tamaren mèt beton, Chenn Tameren laisse le club avec des dizaines de personnes en vert et blanc pour ne pas assister à la prestation de Lanbi.

Malgré l’absence de Chenn Tamaren et ses sympathisants, le club est loin d’être vide. A 2h45, Lanbi arrive avec des musiciens en uniforme et des lumières et commence à jouer le morceau fétiche: Nan Mawo n prale. Une foule en liesse répond aux notes de la bande. Une communion parfaite et une communication excellente existent entre les chanteurs et les participants.

Le festival terminé, chaque groupe réclame la première place. A La Hatte, ògèy était meilleur, à Petite Guinée, Chenn Tamaren a écrasé tout sur son passage, pour les habitants de l’Acul, ce festival n’a qu’un maître : Lanbi gran dlo. Les organisateurs sont sortis satisfaits. « Nous avons rempli ce grand espace et réussi à mettre fin aux violentes confrontations entre bandes de rara rivales », a déclaré Tataille James, un des organisateurs du festival.

Dans cette situation, n’est-il pas difficile de savoir qui a réellement gagné?

mardi 7 avril 2009

Histoire du groupe Zenglen: l'une des plus grandes figures du konpa

Au cours des années 80, le paisible quartier de Delmas 18 a vu évoluer, comme tous les autres jeunes de l’époque, deux adolescents qui allaient marquer, par leur talent, l’histoire de la musique haïtienne.
C’était Garry Didier Pérèz et Jean Brutus Dérissaint. A cette époque, presque tous les après-midi, le jeune Brutus s’installait sur le seuil de sa maison pour jouer à la guitare, son instrument préféré. Garry, qui lui, partageait sa passion de chanter avec son ami Patrick Martineau, avait toujours l’habitude de remarquer Brutus jouant de la musique, jusqu’au jour, où il l’invita à venir s’amuser avec eux chez Patrick Martineau à Bourdon. C’est ainsi qu’au cours des années 86, 87, Garry Didier Pérèz, Patrick Martineau et Jean Brutus Dérissaint se retrouvaient tous les après-midi après l’école pour écouter de la musique et les interpréter. Influencés par le zouk qui à l’époque était très populaire en Haïti, leur musique préférée était “Zouk à gogo” et leurs modèles étaient KASSAV, MALAVOI et RALPH TAMAR.
Deux ans se sont écoulés sans que ce trio d’amateurs ne pensa une seule fois à former un orchestre
professionnel. Durant les séances de répétition après avoir fini d’ingurgité de la bière, Patrick prenait plaisir à placer les bouteilles de bière vides sur l’armoire de sa chambre. Par un bel après-midi de répétition, poussées par le son venant des haut-parleurs placés sur l’armoire, les bouteilles de bière tombèrent au sol et se brisèrent. Le lendemain arrivé chez Patrick, après l’école, Garry et Brutus constatèrent que leur ami avait formé le mot ZENGLEN avec les tessons de bouteilles de bière éparpillés par terre. Ce geste les marqua.
Au début de 1989, le trio se décida à enregistrer à FX Studio de Jo Doré et de Gilbert Bailli une musique de Garry titré: “ Koulè tan”. Puis, ils passèrent dans les stations de radio de la capitale pour distribuer la musique. Arrivés à Radio Métropole, l’animateur vedette de l’émission “Cadence des îles”, Georgio Léon Emile, leur demanda le nom du groupe. Après un regard instantané, le trio répondit d’une seule voix: ZENGLEN. La journaliste Nancy Roc qui était dans la salle eut à répliquer: “Voilà un nom original”. Et c’est ainsi que pour la première fois sur les ondes de Radio Métropole, Georgio a eu à prononcer ces paroles: “Un nouveau né de la nouvelle génération de la musique haïtienne, ZENGLEN”.
C’est au cours de cette même année, que le tout nouveau groupe va faire un tabac dans la musique
“Fidèl”, composé par les trois amis. “Fidèl” est resté l’un des hits de la nouvelle génération de la
musique haïtienne. C’est à cette période, qu’ils se décidèrent de se constituer en vrai orchestre
professionnel ayant pour manager Carl-Henri Desmornes qui était le beau frère de Patrick Martineau.
Carl-Henri Desmornes, avec son sens des affaires et son aptitude à négocier avec rigueur, a su beaucoup contribuer à l’avancement du groupe ZENGLEN qui allait de succès en succès. Puis se sont joints à l’équipe, Fanfan en tant que bassiste et Didi, un autre keyboardiste au côté de Patrick Martineau.
Le début des années 90 fut marqué en Haïti par la fièvre de ZENGLEN qui jouaient à “Bateau fou”, un club de Pétion-Ville, « Chez Harry’s Restaurant » tous les mercredis à la soirée nommée: “Mercredi surprise en été”, à “Le Magritte”, ainsi que tous les dimanches au « Steak Inn ». A l’époque, ZENGLEN faisait le beau temps des jeunes universitaires et collégiens de Port-au-Prince. On le retrouvait partout: Fêtes des bleus, graduations, fêtes privées, journées récréatives…
C’est à cette même époque qu’ils lancèrent sur le marché haïtien l’album “An Nou Alèz” dont la
musique phare qui porte le titre de l’album est une composition du trio d’amis musiciens. A la fin de 1991, Ernst Benjamin intégra le groupe suite au départ de Fanfan et, David Charles, comme chanteur en remplacement à Garry.
C’est durant les terribles moments d’embargo que ZENGLEN part en tournée
internationale. Tous les musiciens, sauf Patrick Martineau, qui, à l’époque était étudiant en pharmacie.
Pour la première fois, on allait découvrir ZENGLEN à Boston, à New York, en Colombie, Martinique, Guadeloupe et au Canada. Constatant les difficultés socio-politiques que traversait Haïti à l’époque: fermeture des universités, embargo et autres, les musiciens de ZENGLEN décidèrent de s’installer aux Etats-Unis d’Amérique. Et c’est sur cette terre d’adoption que ce groupe musical va passer de format électronique au format full band.
Plusieurs musiciens ont vécu l’expérience ZENGLEN, parmi lesquels, le chanteur populaire Gracia Delva, arrivé à la fin de 1995. C’est un ami de Bellande Georges, (ancien manager de TABOU COMBO) qui les réferra à Gracia qui, à l’époque vivait à New York. Bellande le fît chercher. Ils trouvèrent en lui le chanteur idéal. Sa voix, sa prestance sur scène, sa spontanéité, son énergie ont attiré beaucoup de gens et fît augmenter la popularité du groupe.
Bellande Georges, que l’on considère, comme le père de Gracia Delva, a beaucoup travaillé à l’avancement du groupe. C’est en 1995 que Georgio Léon Emile le présenta à Brutus, car ils étaient en quête d’un manager pour mieux les encadrer. Il consacra son temps, son énergie, ses relations pour que ZENGLEN puisse s’épanouir. Grâce à ses contacts, ZENGLEN a eu des contrats intéréssants pour des soirées officielles, privées et populaires en Haïti, comme à l’étranger. Après une longue traversée du désert en 1999, ZENGLEN sort à Miami un nouveau hit titré “Tempo”, musique composée par Jean-Hérard Richard (Richy). Sur cet album, est gravé “Easy compas”, un autre succès, signé Jean Brutus Dérissaint.
2004, ZENGLEN mûrit de ses expériences, fort de ses tribulations offre à tous ceux là qui l’on toujours supporté dès le début un coffret de trésor musical, cinq étoiles qui brillent et qui brilleront de mille feux dans le ciel pour les générations futures.

Farah Larrieux
André Fouad


[Site original de l'article]

mercredi 1 avril 2009

Une parcelle de l'histoire du Konpa

Le 26 juillet 1955 (26 juillet de la même année pour les puristes) est une date très important dans l'histoire de la musique haïtienne.

Beaucoup pensent que c'est l'orchestre de Némours Jean-Baptiste qui a pris naissance le 25 juillet 1955, la veille de la Sainte-Anne, et non le rythme Compas lui-même, d'autres, au contraire, pensent que cette date, le 25 juillet 1955, ramène la naissance du Compas direct.

Pour faire le point, il nous a fallu trouver les dires d'un expert à la matière ou d'un témoins de la bande à Némours encore vivant.

Écoutez la déclaration de Julien Paul, le premier chanteur de Némours, faite en août 2005 dans les colonnes de Tiket Magazine, encore vivant à l'époque, et je cite:

"A cette époque l'ensemble aux calebasses jouait d'autres rythmes. Ce n'est qu'après la brouille avec Lumarque que Némours décida de prendre lui-même les affaires en main. L'orchestre à Némours Jean-Baptiste jouait à cette époque du Tipico, du Troubadour, et, ce n'était que bien après qu'il créa son propre style, le Compas direct."

Tony Lamothe, le chercheur, aborde dans le même sens.

"Dans la tête de beaucoup de gens, le rythme compas a pris naissance le 26 juillet 1955, alors qu'on devrait le situer trois ans plus tard au commencement de l'année", a-t-il déploré. En signe de compromis, il pense qu'on est obligé finalement de s'y accommoder même s'il regrette que la date de la fête du Compas ait été choisie arbitrairement.

Comment le Compas a pris naissance?

Le Compas a pris naissance à partir du Tipico Cibano, un mouvement lui-même issu d'un lent métissage entre la culture haïtienne et dominicaine, apparu dans la zone frontalière, dans les montagnes du Cibao.

Si l'on recherche un père pour le Compas, on peut prendre Némours. Il le mérite. Mais ce dernier n'a pas inventé un rythme, il l'a adapté.

Pour conclure, nous pensons qu'on peut faire coïncider l'appellation Compas à 1955, mais pour le rythme il faut remonter beaucoup plus loin.
Il ne faut pas oublier aussi que le Compas a subi au fil des ans beaucoup de transformations.

Deuxième grande évolution du Compas.

Le 22 décembre 1965 est un jour à marquer d'une pierre blanche. Il s'agit de la date de la formation du groupe les Shleu-Shleu qui allait amorcer la seconde grande évolution du compas. La poignée d'écoliers originaires du quartier de Bas Peu-de-chose, sous l'influence de Dada Jockaman, bouleversa totalement les donnes et horreur suprême, détrôna le créateur du compas direct dans le coeur des mélomanes.

Cette génération montante de jeunes musiciens subissait à cette époque l'influence des Beatles et de la génération "yé-yé" française. "Ibo Combo", la première version des années 60, jouait déjà un rythme compas très élaborée, diffèrent de celui de Némours, et qui aboutira au Magnum Band et au Caribbean. Puis arrivèrent des 1966, les Ambassadeurs, les Difficiles de Pétions Ville, les Fantaisistes de Carrefour, les Loups Noirs, les Shelberts, les Shupa-Shupa, les Corvington, les Vikings d'Haiti, le Skah-Sha, le Bossa Combo, les Incognitos devenus plus tard Tabou Combo ...

A cette époque là, la scène musicale haïtienne était remplie d'une centaine de "mini-jazz". Chaque quartier avait pratiquement son groupe. Il y avait les Pachas au Canapé-Vert, les Légendaires de Delmas, les Gentlemen de l'Aviation, les Gars de Sainte-Cécile et j'en passe... La plupart ont eu une vie éphémère. Ils arrivaient avec une chanson qui passait pendant un certain temps à la radio, et puis on ne les entendait plus.

La Vague Cuivre et Orgue

Vers la mi-70, la rivière antillaise débarqua sur la scène musicale, les Gmax, les Exiles on et autres... Les musiciens haïtiens n'avaient plus le choix, ils étaient obligés de s'adapter à nouveau.

A cette époque, les Difficiles de Pétion Ville, en se changeant en DP Express, ajoutèrent une orgue à leurs instruments. Scorpio et Robert Martino, des instruments à vent. Puis les deux se sont adaptés à ce que faisait l'autre. Puis d'autres groupes emboitètrent le pas.

Le Compas était alors à son apogée, début 80, avec DP Express, Scorpio, Loups Noirs, Bossa Combo, Frères déjean, Accolade ... Ce fut l'âge d'or de notre Compas.

La Vague électronique dite Nouvelle Génération

Mi-80, parlant justement de "drum-machine", dans le tumulte des évènements politiques, et sous l'influence "électronique" du zouk, le Compas allait connaître de nouveau une petite révolution. Même les Tabou Combo, Skah-Shah, Tropicana, Septentrional et autres durent s'adapter.

Nous avons apporté le Compas aux Antillais. Kassav est revenu avec le zouk qui a influencé la nouvelle génération. Et aujourd'hui, on retourne le même cheminement avec Zouk-Love et le Compas-Love.

A l'avant-garde, des formations comme Zéklè et Top Vice émergèrent dans ce bouillon d'énergie et de technologie. D'autres suivirent leurs traces: Skandal, Sakaj, Papash, Teiomec's, Ozone, Laraj, pour ne citer que ceux-là. Certains traversèrent, parfois au prix de grands revirements, des années 90 et même le tournant du siècle pour arriver jusqu'à nous: Zenglen, Mizik-Mizik, Djakout-Mizik, Zin, Phantoms, Lakòl, Fokus, Sweet-Micky, T-Vice, K-Dans, etc. Durant cette longue période le Compas se maria avec d'autres courants musicaux, notamment le Troubadour ( Haïti twoubadou), le Rap et le Tagga (Haïti Rap et Ragga, King Posse, Top Adlerman ...)

Question de montrer que, de pertubations politiques en bouleversements musicaux, notamment avec la jeune garde ayant à sa tête les Djakout, T-Vice, Zenglen, Carimi, Les Nu Look, et autres Kreyòl La Krezi Mizik, le rythme créé par Némours Jean Baptiste à la fin des années 50 est prêt à affronter un autre demi- siècle.


Recherche effectuée par
Jean Frantz PHILIPPE.

[site original de l'article]

Ancienne et Nouvelle génération du Compas Direct : définissons de nouvelles stratégies pour la conquête de nouveaux marchés

A la fin des années 80, plusieurs groupes musicaux ont pris naissance dans le Compas Direct (genre musical haïtien créé par Nemours Jean-Baptiste) avec un format réduit et un nouveau style. Ces nouveaux groupes s’arrangent sous le vocable : « Nouvelle génération ». Cette tendance est marquée par un nombre réduit de musiciens , l’introduction d’instruments comme la boite à musique et le synthétiseur.

La plupart de ces groupes n’utilisaient pas la section cuivre, ni la section traditionnelle de percussions du compas direct comme le tambour, la batterie. En plus du synthétiseur, ces groupes se servaient surtout de deux guitares (lead et bass) et d’un piano.

Cette situation a attiré l’attention de plus d’un. Des opinions de deux groupes contradictoires surgissent. Le premier groupe estime que ce changement était nécessaire pour le Compas Direct. Car, à leur avis, le compas « full band »était essoufflé et ne pouvait plus drainer la même foule. Le second, au contraire, estime que cette modification était d’ordre économique. Ainsi, par exemple, avec ses trois musiciens, Sweet Micky peut mieux payer ses musiciens et tirer beaucoup plus de profit qu’un Bossa Combo avec près de quinze musiciens.

Les tenants du deuxième groupe ne cessent de mettre en question la qualité musicale des compositions de la nouvelle tendance et la banalité des textes et sujets traités. « En quoi des sons produits pars des synthétiseurs peuvent-ils agréables que ceux produits par des instruments musicaux? Des chansons comme « Men avèg la » de Top Vice ou « Forêt des pins »de Sweet Micky sont-elles plus riches musicalement qu’un « New York city » de Tabou Combo ou d’un « Bèl ti machann »de Skah Shah ? En quoi une chanson pauvre musicalement peut-elle être plus vendable dans le monde actuel ? », s’interrogent les tenants du deuxième groupe.

De plus, Tabou Combo avec son format full band a connu un succès fou en Europe, avec plus d'un million d'albums vendus. En août 1975, New-York City a atteint le premier rang des Hit-Parade français. Jusqu’à aujourd’hui, ces groupes full band sont très prisés dans les Antilles, en Amérique centrale et en Europe.

La recherche du profit, la logique de maximisation du revenu a été et est encore néfaste pour le compas direct. Cet antagonisme entre ancienne et nouvelle génération n’a pas apporté beaucoup de choses à la musique haïtienne. Les nouveaux musiciens ne sont pas si riches comme ils le souhaitaient et le compas direct peine encore à percer sur le marché international.

La musique haïtienne ne peut pas encore profiter des possibilités qu’offrent les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) pour produire, vendre et diffuser dans d’autres milieux de la planète ses compositions. Ces deux générations du Compas Direct ne sont pas si différentes qu’elles le prétendent. Maintenant, les jeunes en Haïti se cherchent dans d’autres tendances comme le Rap kreyòl. Les chansons du Compas full band sont qualifiées à tort de « mizik granmoun, mizik lontan » et celles de la Nouvelle génération, « Mizik sikre, mizik dous ».

Le compas se cherche dans de nouvelles stratégies. Les groupes de la Nouvelle génération se rapprochent de plus en plus de l’ancienne en ajoutant les instruments qu’ils ont rejetés.

Musiciens, promoteurs et disquaires, il est temps de définir de nouvelles lignes, de rédiger de nouveaux plans pour le Compas Direct en ce qui a trait à la production, la promotion et la diffusion. Que vous soyez de l’Ancienne ou de la Nouvelle génération, vous jouez, écoutez et dansez tous le même rythme : Le Compas Direct. Mettons fin aux conflits insensés. Ne nous perdons pas dans de fausses idées. Définissons plutôt de nouvelles stratégies basées sur l’innovation, la recherche pour conquérir de nouveaux marchés et produire une musique inspirée et riche.