Auteur: Patrice-Manuel Lerebours pour Le Nouvelliste
L'un des plus grands musiciens haïtiens a succombé à une crise cardiaque le mercredi 2 septembre 2009, vers 11 heures 30 du soir, à l'hôpital St- François de Sales, à Port-au-Prince. Avec lui, c'est toute une époque qui s'en va. Le grand chef d'orchestre et musicien que fut Hulric Pierre Louis était déjà, de son vivant, un véritable monument qui, en maintes fois, fut honoré pour son apport à l'art haïtien. Hier patrimoine vivant, il est entré dans l'immortalité, emportant avec lui un peu de chacun de nous.
Né à Duty, 4e section communale de l'Acul du Nord le 22 septembre 1928, Hulric Elima Maurice Solon Pierre-Louis passe les premières années de son enfance au Cap-Haïtien avec sa mère, Andréa Pierre, couturière, jusqu'à la mort de celle-ci en 1935. Il n'a que 7 ans, à cette époque, et va vivre avec son père, Constant Pierre-Louis, qui exerce les métiers de tailleur et de coiffeur. C'est là que commence à s'écrire une des plus belles pages d'histoire de la musique haïtienne. Cet homme, rude travailleur, qui nourrit de grandes ambitions pour ses enfants, est aussi musicien. Il joue de la guitare et de la flûte. C'est un ancien musicien de la fanfare du Cap-Haïtien, qui inculque le goût de la musique à ses enfants. Hulric et son frère Lucien Pierre-Louis, qui deviendra trompettiste au sein de l'Orchestre Septentrional, sont alors loin d'imaginer qu'ils feront danser plusieurs générations d'Haïtiens et qu'ils marqueront à jamais l'histoire de la musique haïtienne.
Constant Pierre-Louis inscrit son fils chez les frères de l'Instruction chrétienne, où Hulric est initié au solfège par le père Doroté et M. Davous Gilles. Puis il se met à la guitare et bénéficie des conseils et du support de quelques talentueux musiciens avant de suivre des cours de guitare classique avec l'ancien directeur musical de la Fondation Vincent, David Désamours.
En 1942, Hulric est guitariste de l'Ensemble Symphonia, une formation musicale composée de jeunes lycéens du Lycée Philippe Guerrier du Cap-Haïtien et de quelques musiciens amateurs de la ville, puis, vers la fin de 1944, il fonde le Trio Symphonia avec Jacob Germain et Jacques Monpremier. Pour lui, ce n'est là qu'une distraction, un agréable passe-temps. Hulric n'a aucune intention de devenir musicien professionnel. Mais la mort de son père, en avril 1946, vient tout changer...
Hulric, admis en seconde, n'a plus les moyens de continuer ses études. Il lui faut gagner sa vie. Il intègre alors le Jazz Youyou, une formation musicale très côtée à l'époque, qui appartient à un ami de son père, Cirius « Youyou » Henri. Malheureusement, Hulric est une forte tête et, qui pis est, a du talent. Au cours d'une prestation, il refuse de saluer par un « ochan » un militaire qui, à l'époque, était très puissant. Il a eu une prise de gueule avec le maestro. Six mois plus tard, sa carrière au sein du groupe prend fin après une nouvelle altercation avec le maestro Youyou qui l'a surpris en train de s'exercer au saxophone au cours d'un intermède.
Toujours avec ses amis Jacob Germain et Jacques Monpremier, il fonde le Trio Astoria. Mais les affaires marchent mal, en dépit de leurs bonnes performances. Hulric propose alors au Quatuor Septentrional, qui avait du succès à cette époque, de fusionner leurs formations pour créer un plus grand orchestre. Jean Menuau qui dirige le quatuor refuse. Hulric tient bon et revient à la charge, plusieurs fois de suite.
L'occasion allait se présenter en juillet 1948 lors des fêtes champêtres de la Plaine du Nord et de Limonade. Le quatuor Septentrional n'est pas disponible pour les bals auxquels il est invité à performer, du 24 au 27 juillet, et l'un de ses musiciens et fondateurs, Léandre Fidèle, a la bonne idée de faire appel au Trio astoria auquel il adjoint deux ou trois autres musiciens.
C'est un succès total. Le mardi 27 juillet 1948, après le dernier bal à Limonade, l'Orchestre Septentrional est fondé et Hulric, avec sa forte personnalité, ne tarde pas à émerger comme un leader naturel parmi les musiciens.
En 1950, soit deux ans après la fondation de l'Orchestre Septentrional, Hulric devait en devenir le directeur et maestro, succédant à Jean Menuau. En 1954, il rejoint, à Port-au-Prince, l'ensemble du Riviera Hôtel que dirigeait Guy Durosier. Mais son absence ne dure pas longtemps. En 1955, enfant prodigue, il est de retour au sein de l'Orchestre Septentrional qui, pendant son absence, avait connu certaines difficultés. Il s'impose définitivement comme étant le meilleur directeur et maestro que le groupe ne connaitra jamais. Il était de retour à ce qui allait devenir la passion de toute une vie, l'Orchestre Septentrional, qu'il ne quittera plus jusqu'en 2003. Et, depuis cette date, il a été membre honoraire du Grand Orchestre Septentrional jusqu'à sa mort le 2 septembre 2009.
Le reste, c'est de l'histoire.
Avec le départ d'Hulric, il ne reste plus qu'un seul membre fondateur de l'une des plus grandes formations musicales qu'Haïti ait jamais connue, le batteur Atémis Dolcé, à qui nous présentons nos sympathies.
Hulric Elima Maurice Solon Pierre-Louis a, pendant des décennies, donné le meilleur de lui-même à tout un peuple qu'il a su faire chanter et danser, même dans les moments les plus sombres. Que la terre lui soit légère !
Patrice-Manuel Lerebours